Publié en 2020
Ma sœur, ma Nina, je sais bien ton amour de l’esprit, de l'intelligence, de la grandeur, de la sensibilité ; ces temps de ton enfance où très jeune encore tu pensais malgré ta religion, en regardant le ciel qu'au fond des espaces infinis d'obscurité, se cacheraient bien à l'autre face d’une planète, peut-être la forme de vie inimaginée, l'extraterrestre inconnu qui ne te faisait pas douter de ta Foi. Je revois tes premières écritures que tu me faisais lire ; il s'agissait de deux petites phrases à propos d'une sardine ; la sonorité en était si belle, le phrasé si fortement déjà à ton service que tu m'en as vu impressionné et n'en revenais pas. En toi je mettais les espoirs de me ressembler le plus, aux mêmes attaches, nous suivions les mêmes cheminements ; aux mêmes troubles les mêmes résolutions. Et puis avec la féroce adolescence, milieu et phare de nos vies, peu à peu en reculant d'amour pour notre religion première, nous nous interrogions sur notre destinée, nous remettions en cause la vigueur de nos racines, nous cherchions un cœur nouveau à celui disparu de notre enfance ; par d'immenses rêveries, par des regrets incapables nous voulions malgré la force injuste de l'existence, toujours ranimer, faire revenir à la vie nos battements d'enfants, la fraîcheur de notre imagination, la fièvre de nos sentiments ; nous cherchions la tendresse évanouie de nos parents devenue trop ronchonne pour nous aimer encore ; ne pouvant l'avoir, ni ne pouvant plus compter sur leur illusoire perfection : nous espérions alors de nos frères et sœurs, mais l'éloignement est si ferme que nous restons rapidement sans attente ; alors, voilà que l'indifférence nous tombe entre les mains, nous la goûtons plus amèrement que nous nous pensions déjà très avilis ; la buée blanche devant nos yeux, linceul des jours de notre innocence, définitivement ôtée, heurtées nos chaloupes à tant d'insupportables étocs ; nous faisons des esclandres pour juguler notre perdition, nous maudissons tous les dieux et les diables mais tout en quêtant leur aumône – et c'est sans nul secours, que nous voilà bientôt sans rame, sans embarcation, intégralement rompus sur le roc d'une île, nous sommes seuls mais nous cherchons doublement comme des fous, les origines de notre malédiction ; nous récitons des phrases mélancoliques qui nous le pensons, imposerons notre sauvetage à l'univers, nous les inscrivons sur le sable, nous nous rendons exubérants d'être aussi désespérés ; nous demandons avec des larmes aux nuages de prendre notre partie.« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient / Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée. (…) et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot. Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit. La charité est cette clef. − Cette inspiration prouve que j'ai rêvé ! » La charité, notre sentiment de peine pour les autres ; nous voyons avec évidence que c'est bien celui-là ; qu'il faut chercher ici la verdeur de notre enfance, ce chant d'amour que nous pensions éteint à tout jamais – et avec des élans d'oriflammes nous tournons en notre mémoire la broche de tant de mains que jadis nous avons tendues ; alors au-dessus du feu, du qui-vive de notre attention – parfois dans des humeurs moins maussades au lever le matin, enfin avec une joie énorme nous retrouvons un peu d'amour et partons caresser des insectes, des animaux, des frères, des sœurs, des parents ;nous nous penchons sur eux, les regardons face à face ; et dans leurs yeux les pupilles n'ont plus aucune parole ; nous flanchons, c'est fini – les arbres, la nature, les paysages immenses autrefois si exaltés pour nous, sont aujourd'hui des sanctuaires sans aucune âme pour nous appeler. Où est la vie autour ? Pour ne pas être monstrueux, nous faisons semblant de sentir encore en quelques êtres, les tympans et le pouls qui se remuent ; mais l'Infini passe à côté. Ils sont morts devant nous, pour nous infiniment des cadavres – mais que faire d'un mort si relevé ? Nous sommes alors en deuil de voir périr sans plus de puissance, ceux qui autrefois étaient nos plus grandes raisons – alors, la fatigue, l'inconséquente fatigue, plus allongée et veule, son hydre à vingt-et-une têtes ; nous voyons tant de morts sans justice que nous voulons en être bientôt – nous côtoyons sans désir de suicide tant de dépréciation que nous voilà endormis pour quelques années – et alors, perdus ainsi dans les troupeaux du néant, nous sommes plus fragiles encore que les crispations des cieux. Tout de même avec la force innée de la malemort, nous parvenons à tendre notre plus grand doigt au dehors du purgatoire sans bien savoir qu'elle est l'espérance qui se tient au-dessus. Puis une grande force nous tire sur le majeur, elle nous relève, nous fait sortir de la tourbe – c'est l'amant et l'amante que nous pensons notre divin sauveur. Dans ses bras, nous redoublons notre enfance. Une heure, un jour, un mois, une année, mais tout se meurt chez nous ou bien chez l'autre ; l'avancée de la vie rend coupable, elle interroge et discrimine, elle atteint les parts les plus boiteuses de notre esprit ; et nous voilà insatisfait d'aimer où d'être aimé – les langueurs du cadavre rejaillissent de l'amant, peu à peu, assis sur un canapé avec lui, avec elle, nous voyons sa chair toujours entreposée, pendue sur le même crochet d'habitude, nous sommes lassés, ennuyés, et ne voyons plus d'être qui vive. Sans même de trahisons, nous nous sentons trompés ; nous sommes cocus par une invivable éternité dont notre conjoint s'est laissé posséder ; au travers de lui nous voyons des lointains ; mais comme au travers d'une porte nous gageons au judas qu'il nous fera décolleter un couloir imprévu ; du bel horizon présenté, nous oublions alors l'obligeance du ticket ; la politesse de l'hôte nous sera toujours moins étonnante après qu'il nous a découvert son hôtel – ainsi l'amant à mourir, nous fait voir des voyages. C'est l'heure de s'en aller, de toute force – mais la fripouille d'argent vient à nous manquer, nous multiplions les travaux, mais les années s'en vont autant qu'elles le désirent ; et nous sommes assis bientôt dans une chaise, puis dans une chaise devant une table, puis devant une table auprès d'un frigidaire ; nous sommes nourris et au comble de l'appétit, nos travers nous retombent sur les yeux ; nous repensons à prendre amant, nous oublions nos désirs et pensons aux devoirs ; et puis à nos racines, à nouveau, le voyage nous devient mensonger – nous repensons à notre enfance, maintenant avec autant d'oubli nous ne savons plus que le mimer, et nous aspirons alors, par l'enchantement de cette idée neuve pour nous, à l'enfantement d'un maître mime qui est l'enfant ; quel plus beau reflet de ce que j'étais dans mon enfance, qu'un enfant qui me ressemblera ? Alors, il faut sévir sa maternité, se trouver des responsables, des responsabilités, des valeureux, des valeurs :nous interrogeons nos amis, seul fief imprenable et intangible dans l'affront qui nous concerne – je serais une mère, et une femme d'exemple.Sans mal pour s'affirmer, il faut se décider enfin,combler le vide, croire, croire, puisque le choix n'est pas laissé de comprendre ; Dieu chuchote alors nos oreilles. Dieu nous entête. Mais le sonde sa voix ne ment jamais ; son dialecte est sans intelligence, mais il épelle des syllabes qui sont des guides. Son haleine est plus qu'un port et c'est un havre ; ici, nous y trouverons le repos sans le regret, ici l'apaisement, l'abaissement de l'envie, de la brûlure immense qui chaque jour débobinait nos souvenirs. Ne pas croire tout à fait peut-être, mais croire, croire comme ce que l'on voit, croire comme la nature, croire comme les arbres, comme notre enfance ; il n'y a pas de croyance plus absolu pour croire en soi. Dieu c'est nous mais au-delà. Dieu, c'est nous mais sans la mort, sans la vieillesse, sans la maladie, sans la putridité, sans le désespoir. Alors il nous faut croire. Croire même sans Dieu. Croire c'est Manger. Croire c'est Dormir. L'infinitif est plus éternel que l'infini.Le temps vient alors de se choisir un Dieu, une religion ; nous touchons
avec nos mains le duvet des livres de notre enfance ; cette religion trop éduquée, Catholique, non par des croyants enflammes, non par des adorateurs ; mais par des professeurs sans humilité qui, ayant lu Bible à dix ans, se croient bientôt des saints et le font croire – plus cher est pour nous le sens avisé des gens que l'on estime, nos amies savent nous toucher puisqu'elles savent nous comprendre, alors, bientôt nous faisons d'elles des sacerdoces, nous suivons le chemin des simples, l'avis des gens qui nous indique si facilement les choses ; et qui au lieu de nous demander d'épancher notre cœur sur une croyance, nous épanche la croyance jusqu'à notre cœur. Nous sommes séduits bientôt, non par une contrefaçon de notre âme – mais croyant à la destinée, nous savons bien que si le livre sacré s'est montré à nous c'est qu'il devait y avoir la-dedans un appel de Dieu. Le Coran, le Saint-Coran, aux yeux de notre famille nous le cachons sous nos draps, et le soir avant de s'endormir, nous lisons quelques versets dont la chaleur et l'énigme des sens nous enfièvre ; sur notre oreiller nous n'avions jamais connu d'écrit plus inspiré et plus tempétueux –quel est donc le mal que d'aimer s'agrandir ? Ne pourrions-nous pas avoir le courage pour une fois de dire à nos proches que cela nous épanouit ?Nous essayons la prière islamique, comme seul tapis de piété nous prenons celui du bain ; nous fermons la porte et sur le carrelage froid nous allongeons notre serviette et posons notre front– dans nos oreilles, avec des écouteurs il y a la voix des muezzin. Nous nous sentons vivre de l'Univers. Il y a dans ce laisser-aller plus de prodige, dans ce mutisme un plus bel aveu et un accord de plus – que lorsque durant ses messes au Dieu-apprivoisé des témoins de Jéhovah ;ensemble nous donnions tous nos voix et nous chantions. Plus d'union dans le silence, que dans la vive-voix, que dans l'unisson – plus de repentir dans la parole spirituelle avec un Dieu qui cherche notre douleur sans mot-dire. Ce Dieu-là a bien de la vérité sur les autres puisqu'il semble nous consoler des choses mêmes qu'on ne saurait pas dire ; et que la confession des prêtres voudrait nous extorquer ; écrire, réciter – quel travail pour posséder une Foi ! L'Islam,faire silence c'est croire ; n'écrire jamais rien qui de soi ne sortit Et nous restons ainsi, dans cet équilibre sans vertu ; nous ne supportons plus la corde qui nous sert de cale-pied – il nous faut prendre appui ; choisir un homme ou s'en aller.Ma sœur – je connais tous ses atermoiements,j'ai vécu ses malheurs d'un Dieu mis en retard ;où est donc son jugement dont nous désespérons ? Qui punira les mauvais hommes,nous rendra l'amour des nôtres aussi foisonnant qu'autrefois ? Tu n'auras que des indices et la pieuse mais labile parole des sûrs d'enfance.Toi qui a si fortement douté ; comment peux-tu croire l'avis de ceux qui n'auront jamais craint pour leur salut ? Mais bientôt, la fièvre mis au banc, tu revivras l'accoutumance, dans les yeux du Prophète, dans ses faits et ses gestes – ton front collé au sol, implorant sa grâce et ta soumission ; tu ne verras qu'un œil blanc étamer. Quels seront tes amis qui alors te combleront le cœur ? Tu voudras t'attacher à toi-seule mais ne trouveras qu'intolérance ; des gens qui te diront : « N'abjure pas, c'est un pêché. »Mise entre les quatre fers d'un Dieu ; où sera donc ta liberté de ne pas savoir ? Tu seras triste, éperdument, sur les quatre piliers tu déposer as ton âme et abolissant l'épuisement des autres musulmans ; tu voudras n'avoir que Dieu à toi seule – tu ne supporteras plus les damnés, les associateurs, les paroles des hommes clameront pour toi en dévers.Ma sœur, n'entre pas en communauté ; tu souffriras des doutes et de l'impossible disparition ; bientôt, tes silences ne seront plus à toi et à Dieu, mes tes amis musulmans, tout aussi taiseux, trop compréhensibles, voudront te donner le tabac formel de leurs « astuces », de leurs « manières » et ils te convertiront à une religion qui n'est plus celle d'un Dieu, mais celle des mères infâmes, cherchant des enfants eunuques – ma sœur, n'entre pas en communauté, au lieu de chercher un homme,cherche oppidum ; enfuis-toi de ce pays moribond, qui finira dans le massacre, prévisible et trop cru pour toi, de telles circonstances peut-être divines te déferont la foi comme un habit !Enfuis-toi, romps avec les hommes, vis en ermite, suis l'haleine de Dieu dans un autre pays– en Amérique, comme ce pays est à toi ! Là-bas, ce Dieu n'est pas le mien, mais tu y reconnaîtras toute ta recherche ; ne vis pas dans ce pays de France, trop confluent, trop partiel, et sans plus aucun absolu – si je reste encore, c'est pour aider sa morale, mais je la sais très forte à disparaître. Nina, va-t-en, ne t'endors pas ici ;triomphe des routes, des barrages, tu étais si heureuse à Miami, il faut que tu te rendes compte que ce n'était pas seulement le bonheur du voyage ; ici l'air est vicié, moi qui suis un vicieux, damné pour toujours, je sais bien m'y complaire, mais les âmes pures, innocentes, à moitié angelottes, ne peuvent s'y soumettre ; tu souffriras ici des hommes et des fausses amitiés de zélateurs. Sois une ermite, trouve Dieu en son sein, et Dieu n'est plus ici – il a fait vacation, c'est pourquoi tant de sang coulera dans nos rues, mais Dieu ne veut pas que tu voies tout cela ; il me fait écrire peut-être, pour te conjurer le sort que le soir tu voudrais te promettre ; peut-être est-ce lui même qui me dit que tu dois rompre avec la France et la Méditerranée. Quitter.Enfin. Je t'ai écris cela, ma sœur, qui donc d'autre l'aurait fait ? N'es-tu donc pas plus proche de moi que tout ceux-là qui t'auront jamais parlé ?
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