« Il mourut alors un vieux évêque qui, toute sa vie, n'avait rien oublié pour faire fortune et être un personnage […] C'est sur lui que Molière prit son Tartuffe, et personne ne s'y méprit. »
Saint-Simon
Diable ! Le roi était remis, le trône était pourvu, la France renaissait. J'étais moi-même honoré d'une petite délicatesse : grand prince par le Roi, je devenais garçon.
C'est à ces journées que je revis un joli personnage de l'ancienne république. Nous le nommions autrefois Jacques Attali et nous l'avions perdu de vue. En plus de sa grande perruque bien visible et de son teint aussi fardé qu'un meuble Rococo, de sorte qu'il dénotait absolument de toute la cour d'alors, j'apprenais avec un sourire que monsieur se vantait d'un nom : Jacques de l'Attalière, marquis d'un petit mètre carré qu'il s'était octroyé pour sa retraite aux terres si froides du Dauphiné.
Comme vous le savez, on achetait durant la république des terres en Écosse pour l'implantation dequelques arbres ; nous faisions alors de même en France pour implanter les a rabes. Mais cela !
L'impossible, inimaginable révocation de tous ses titres, de tous ses petits passe-droits et marquis à mouquères, Dieu, le Roi même, très haut qu'il puisse être, s'estimait impuissant à répudier ces faux !
C'est ainsi que ce cher Jacques de l'Attalière nous parut un de ces soirs de septembre à la cour du Roi-neuf. Je n'ai pas assez dit, et je ne pourrais pas décemment penser que vous n'en saviez rien, mais ce cher Attali avait, durant toute une république, qui fut ce qu'elle fut à notre malheur, essayé d'acclimater ses chemises selon les propre-à-rien qui se voyaient élus – Dieu-vat ! Attalière et sa ronde-de-nuit, qui soufflait son haleine, faisait asseoir son tapinois à tous les continents. Nous l'avions connu très-aventurier des fauteuils, grand-nom pour l'avenir ; il se targuait souvent d'avoir fait des disciples ; les noms des ces petits-jeunes-hommes n'avaient pas encore couru dans les cités ; les rumeurs vives, Monsieur, n'avaient pas encore trouvé leurs langues, et personne n'en avait que faire.
Nous lui permettions bien humblement d'avoir un ego plus dimensionnel et plus vache qu'un local de pharmacie reconverti en mosquée — comme fut le cas de mon quartier d'antan : pour n'être pas né à Alger comme le sieur Attali, nous n’achetions plus nos homéopathies ou nos suppositoires d'enfants qu'à deux pas d'un boucher très-hallal — mais laissons l'entracte.
Ce jour, reçu par le Roi, il s'était donné une allure de paon troupier. Cérémonie de l'aède
pour ce cher Attali, chantant une épopée dont la fameuse houri n'est au bout que lui seul. Le Roi, nullement impressionné, en rit comme nous en rîmes. Attali, qui s'habillait en robe et collant, s'était agenouillé, le Roi le fit s'asseoir, un sourire d'indulgence : « Bien, mon cher, je te ferais mon contrôleur d'argenterie. »
Je ne pus m'empêcher de grimacer pour chasser mon rire, et l'Attalière qui ne savait que répondre — je le crus d'abord bien honoré — nous dit plutôt : « Mais... mais... Je ne connais pas les dispositions de ce rôle... rien de cela dans mes 80 livres — même ceux, une vingtaine qui n'ont pas été publiés après la République... »
Comme le Roi n'était pas en amour avec toutes les protestations qu'il estimait percluse de vices, il répondit fermement : « Point d'homélie, Jacques Attali, vous prendrez votre quart demain matin et vous cesserez votre mine éteinte. Allez ! »
Attalière saisit la main royale et l'embrassa vivement : « Oh ! je vous suis bien loyal ! Oui oui, bien loyal ! J'ai été votre grand défenseur sous les présidences, et je le suis et serai toujours. »
Le Roi opina sans rien laisser paraître et l'Atallière se départit.
Le lendemain, au Petit Lever du roi, les vingt-deux et quelques courtisans réunis, nous vîmes ce cher et tendre l'Attalière. Je m'attardais à ses trousses pour mieux étudier son visage, ses tartans de petit masque. Mauvais acteur, caractère falot, front d'escarre. J'observais ses allées-venus, ses passement, ses passades, ses pas-de-loups. Je potassais comme mes vieux-livres sa face d'un chouia d'ourlet, double-menton. Comme Dieu les gâte bien, ces mignons fallacieux, et comme il les détourne avec des politesses ! Et la fiente qui sortait de sa bouche, se trouve un robinet à hauteur de son cou. Mais cela, rengaine, n'y allons pas !
Je controuvais sa mine aussi peu noble qu'il la voulut dans l'assemblée. Nul autre que ces
hommelets qui perdirent la grand-tante et qui, de leur gracile aveu, défirent les lieux et l'heure.
Monsieur de l'Attalière, le genre humain n'était pour lui qu'un diplôme, rien sinon un bout de fichesorti d'une manufacture. D'un orgueil sans pareil, d’une confiance à nulle autre, comment le si bel homme eût-il pu se charger d'analogue ?
Bois-sans-soif dans ses petites affaires, son petit sac à main, n'en sortait-il pas à tout va ses lingots dans lesquelles il se mirait, se repeignait la calvitie, et parfois encore se curait ? « Non ! » me direzvous.
Mais si, mais si ! Il faut me croire. Une morgue dans ses yeux plats, vraie saynète pour
bomber son savoir – mais Dieu ! il n'aura jamais su que les mémoires de Casanova ne sont pas un journal ! La maquigne, vaille-que-vaille, seconde nature chez l'ami qui brassait de guingois, le mépris comme redondance, comme fin-plaisir, comme parfois de ces hommes qui manillent les enfants — mais rien ! Il ne fut qu'un serpent de chiquet que les envoûteurs de l'Afrique relevèrent du panier.
Vaille ! Revenons à nos voeux. J'étais derrière lui dans la chambre du Roi ; je le voyais très-bien faisant la queue au Prince. Il s'impatientait, l'infâme, devant les formelles habitudes de la cérémonie. Je le pinçais de mon côté pour qu'il taise ses grommellements. Il avait tant hâte d'arriver aux bas laine, au chevet, aux plis et replis, qu’il voulut passer à la place du troisième chirurgien.
Diable ! une cohue dont je pris ma part se mit à formaliser au mieux son étoupe qui servait de perruque. Mais le petit-homme Attalière n'en démordit pas, alors même qu'une mimi fontainière de onze ans lui mordait les mollets.
Le Roi fut rudement agacé de l'enjoue qu'il fit taire bien mieux que d'un coup de fusil, par un grand geste ample de la main, comme apaisant les veaux. Nous fîmes silence dans l'assemblée ; le Roi prit sa part et réorganisa de sitôt le train des choses. Attali boudait en ses rides. Vint son tour, enfin, il souffla d'un grand soulagement qui faillit m'accabler et me forcer à lui faire remordre son souffle.
Je me retins, eût égard au train des choses.
Il s'approchait du Roi qui le toisait d'un air qui semblait dire « que me réserve-t-il encore ? »
Prudent, notre Roi, pour cette jacquerie de la jacquerie — Dieu ! Je regardais un peu ailleurs quand je le vis s'agenouiller et repasser par le menu tous ses voeux au « bon-roi » !
Pardonnez mon lieu et place ! Mais je ne pus me retenir cette fois et je poussais du pied son dos : «Au lit, Attali ! » Le Roi n'eut pas de réprobation, il voulut lui aussi qu'Attalière se pressa : « Cher ami, faites ce pourquoi je vous ai mis à l'office, contrôlez mon argenterie n'est-ce pas ? » Attalière se reprit, et son visage plat, ce carré d'angle, cette face de planche à légumes pour couper en Julienne – Dieu ! je ne puis bien m'y faire au-deça la république.
Et que nous fit-il alors ? J'en ai encore mes yeux en coup-de-boutoir. Il prit la cuillère sur la table du Roi et la mit dans sa bouche, elle y entra avec le doux sureau qui tapissait sa langue, mielleusement, tendrement la fit tourner jusqu'à ce qu'avec tant de vélocité, la gironde cuillère, n'ayant pas demandé à ce point de compétences, nous fit un tour de terre ou de soleil tout autour de sa langue. Le suçon siroteur de ce père de cuillère, son langage, sa languette, ses dents plus racoleuses et dentelles et jaunies que toutes encore les putains de Paris, tout cela salivait sur la cuillère.
Attali fermait bien ses yeux, croyant qu'à notre avantage ce fut un marbre dont il enduisait
le couvert. J'allais aller ! La séance étaient stupéfaite. Les petit-garçons sentaient au grand-mot que le mutisme en évidence était dû à l'affront. Le Roi nous apprit mieux alors sa largeur d'âme et pour l'incapable qui s'apprêtait à saisir la fourchette : « Mon Dieu, ami voyez donc votre nez, votre flair a bon dos. Mettez-donc votre masque et goûtez au dehors. »
C’est d'alors que dans les cours d'écoles, par les leçons morales redevenus, nos enfants de Dieu apprennent et se redonnent une fable sur la petite virée royaliste du très cher Attali, une « fable des anciens mondes que le Roi goûtait bien ». Comme le disait Saint-Orgueil et qu'il nommait ainsi :
« LE PRINCE SANS RIRE » :
Jattali vit un Roi
Dont la couronne sur le front était droite
"La merveille !" Se dit Jattali
Tant,
Qu'il pencha son corps de gauche et de droite
Pour questionner dans ses yeux l'équilibre
Du Roi
Du pouvoir du Roi
Dans la droiture de cette couronne
"Si je pouvais" pensa-t-il
Faire de moi le fait du Roi
Telle que je l'ai vu ce jour
Que ne serais-je pas le plus grand
A me tenir le plus droit."
Dès lors,
Tout subitement qu'il fut pris
De l'envie d'être sur le trône
Il vint dans l'audience du Roi :
Et demandant à la Majesté au Siège :
"Mon Roi, suis-je pour vous le Roi sur vos terres ?"
Le Roi, sans un sourire considéra dans un instant
L'expéditif de Jattali
Et lui répondit comme Salomon l'eût fait :
"Ma couronne ne tiendrait pas sur une tête
Dont la pensée déforme l'équilibre.
Reviens à moi plus tard,
Ton esprit aussi droit que ton nez,
Et je te ferais mon prince"
Jattali tout attentif aux paroles du Roi
Ne put voir de son nez que ce qu'il vit de ses yeux
Dès lors jamais il ne le put voir droit.
Tandis que la cour du roi, et les gentes dames pouffaient
Autour de lui le voyant en gigot
Il accusa le roi de sa déconvenue et répondit :
"Alors mon Roi
Pour moi vous n'êtes pas mon Roi
Puisque je ne suis pas le vôtre"
Et s'en alla.
Le roi dans son silence proverbial
Fit taire les moqueries de sa cour
Et comme pour sanctifier le moment
Se leva dans sa parole et dit :
"Il arrive cela, à ceux qui cherchant leur esprit
A la pointe de leur nez
N'ont de soucis jamais
Que de la droiture du manche d'un balai
Du laurier et de la couronne
Et qu'ils objecteraient l'objet
A se tordre pour eux
Pourvu qu'ils en furent les maîtres
Mais les rires parlent contre les ingrats
Et c'est le premiers tord des gens dont on se moquent
Que de s'en offusquer
Que n'aurait-il pas fait d'attendre
Que vos rires soient combles
Que vos rires s'absentent
Et que vous vous taisiez,
Pour qu'enfin je puisse l'éduquer,
Car l'homme n'est pas mauvais
Derrière, l'homme est dans l'ombre
Mais alors il faut croire
Qu'en partant
Il vous donne raison
D'avoir eu tort de rire.
Si seulement il avait cherché
Une seconde la droiture de sa tête
Dans celle qui porte la couronne qu'il aime,
Alors il serait mon hériter
Et vous n'auriez plus ri.
Mais il n'a voulu dans son envie
Que s'introniser par le nez,
Et si dans la rue je le voyais,
C'est sans être surpris
Qu'il serait sur l'échafaud de son gré
A demander au bourreau
D'abattre ses narines,
Car de bon roi qu'il se croit être pour lui,
Il n'est pas de bon rois qui ne subjugue ses ennemis ;
Et croyant être son tarin son traître,
Il s'écrierait après la coupe :
"Un ennemi de moins!"
Lamanesse,
an de grâce, fin deux-mils vingt et un, Dauphiné-occupé.
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